Olivier FLECHEUX - Xavier FLECHEUX - Sophie BLAZY

Concurrence et régulation : le droit souple soumis au contrôle de légalité

Le Conseil d’Etat, juge de la légalité des prises de position des autorités de régulation : le droit mou perd en souplesse mais gagne en solidité !

Dans un arrêt d’Assemblée du 21 mars 2016, rendu à propos d’une prise de position de l’Autorité de concurrence sur les conditions d’exécution d’une injonction contenue dans sa décision autorisant le rachat de TPS et Canalsatellite par Vivendi et le Groupe Canal Plus, le Conseil d’Etat a admis qu’il pouvait être saisi d’un recours en annulation, par les personnes auxquelles ils s’adressent et à qui ils font grief, contre des actes de droit souple (soft law), c’est-à-dire des actes pris par des autorités de régulation, tels que des avis, des recommandations, des mises en garde ou des prises de positions, qui ne créent pourtant de droit ou d’obligation pour personne et n’ont pas d’effet juridique.

Le Conseil d’Etat avait déjà jugé que ces actes étaient susceptibles de recours en annulation lorsqu’ils renfermaient, en fait, des dispositions impératives ou lorsqu’ils énonçaient des prescriptions individuelles dont les autorités de régulation pourraient ensuite venir sanctionner la méconnaissance (voir notamment CE, 27 avril 2011, n°334396, Formindep, à propos d’une recommandation de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé, et a contrario, CE, 11 octobre 2012, n°357193, Sté Casino Guichard-Perrachon, à propos d’un avis rendu par l’Autorité de la concurrence). En réalité, dans ce cas de figure, il semble que l’acte ne relève du droit souple que par la forme.

 

Le nouveau pas franchi par la haute juridiction est d’importance car il concerne cette fois des actes qui n’ont pas de portée juridique mais qui, dans les faits, sont de nature à influencer, voire à dicter le comportement des personnes auxquelles ils s’adressent. Et ce sont les effets économiques ou sur le comportement de leurs destinataires de ces actes qui justifient qu’ils soient soumis au contrôle de légalité du juge administratif : « ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ». Tel est le cas, selon le Conseil d’Etat, de la prise de position de l’Autorité de la concurrence arrêtée par délibération de sa commission permanente du 23 mars 2015, modifiant la portée d’une injonction prévue dans le cadre de la décision de concentration.

 

Le Conseil d’Etat précise ensuite la nature du contrôle de légalité exercé par le juge, qui est celui, classique, du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, s’agissant d’actes émanant d’autorités disposant elles-mêmes d’un pouvoir d’appréciation. Ce contrôle s’exerce après vérification de la compétence de l’autorité pour prendre l’acte considéré et de la régularité de la procédure suivie.

En l’espèce, le Conseil d’Etat rattache la compétence de l’Autorité de la concurrence, pour modifier la portée pratique d’une injonction prise dans le cadre d’une décision autorisant une opération de concentration, aux dispositions de l’article L. 430-7 du code de commerce, qui est précisément l’article qui fonde la compétence de l’Autorité pour prendre les décisions de concentration. La compétence pour édicter du droit souple se rattache donc ici à la compétence pour édicter du droit dur.

L’occasion a ainsi été donnée à l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat d’apaiser les craintes formulées en 2013 par la Section du rapport et des études de la haute juridiction : « il n’est pas souhaitable de voir les autorités publiques développer un pouvoir, dont on a vu l’effectivité tout au long de cette étude, à l’abri de tout contrôle juridictionnel », pouvait-on lire dans une étude consacrée au droit souple.

Nul doute que le Conseil d’Etat a ainsi ouvert la voie à de nouveaux contentieux, compte tenu du développement constant de cette « soft law » qui permet commodément aux autorités de régulation, en s’exprimant hors du cadre normatif, de réguler sans tout à fait le dire. Au demeurant, le même jour, le Conseil d’Etat a rendu une décision allant dans le même sens, à propos d’un communiqué de presse publié par l’AMF sur son site internet.

 

 

CE, 21 mars 2016, n°390023, Société NC Numéricable et CE, 21 mars 2016, n°368082.